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L’angoisse et la dominance, un texte de Laborit qui n’est pas tendre envers l’État

image-petiteN’ayant pas encore eu de nouvelles de l’INA au sujet des droits des documents audio et vidéo de leur site web, j’ai fouillé dans mes « archives personnelles » et y ai déniché la photocopie de ce texte de quatre pages écrit par Laborit lui-même. Le seul hic, c’est que je n’ai pas noté dessus de quel magazine ou livre je l’ai photocopié, pas plus que l’année où il a pu être écrit (honte à ma nonchalance !). Donc si jamais quelqu’un le connaît, ne vous gênez pas pour compléter l’info…  [MISE À JOUR JANVIER 2019 : merci à A.V. qui signale en commentaire ci-dessous que l’article est paru dans Le Courrier de l’UNESCO n°37 en 1984)]

Cela dit, Laborit commence en s’interrogeant sur ce qu’est un criminel et y reviendra vers la fin, ce qui pourrait ressembler à une « commande ». Pour y répondre, Laborit développe une histoire de l’émergence de la notion de propriété qui n’est pas sans rappeler des passages de l’Homme et la ville, si je ne m’abuse.

Dans la première page (cliquez sur le lien pour lire la page), Laborit rappelle qu’un groupe humain particulier établit un ensemble de relations entre les individus qui le constitue et que ces relations vont finir par s’institutionnaliser dans des lois écrites.

« Le criminel est celui qui transgresse ces lois. Autant dire que celui qui est criminel ici, ne le sera pas forcément là. C’est le règlement de manœuvre culturel qui désigne le criminel. »

Dans la deuxième page, Laborit résume rapidement les processus biologiques réglant l’activité d’un système nerveux humain en situation sociale. Le maintien de la structure biologique passant par la recherche de ressources gratifiantes dans l’environnement, si ces ressources peuvent être stockées comme depuis la naissance de l’agriculture, cela suscite de la compétition, puis l’établissement d’une hiérarchie de dominance.

« La notion de propriété personnelle ou de groupe de biens gratifiants que beaucoup de préhistoriens font commencer à cette période de l’histoire humaine, vers 6000 ans avant l’ère chrétienne, vit l’apparition de la criminalité interindividuelle et interétatique, autrement dit de la guerre. Quand la survie du groupe dans un environnement hostile est la motivation fondamentale, la coopération est plus indispensable que le crime. »

Dans la troisième page, Laborit montre comment l’évolution technique va favoriser la marchandise, ses échanges, et éventuellement les détenteurs de moyens de production et les gestionnaires de ceux-ci.

« Ainsi, les moyens ont pu changer mais la finalité est restée la même : l’établissement des dominances pour l’obtention des biens gratifiants dont l’image idéale que l’individu se fait de lui-même n’est pas le moindre. Le seul progrès a été celui accompli dans les sciences physiques. En ce qui concerne le monde vivant et, particulièrement, le monde qui vit en nous, nous n’avons pas évolué depuis le début du néolithique. »

Dans la quatrième page, après avoir rappelé que le langage a beaucoup servi à pérenniser la structure de dominance des groupes humains, Laborit note qu’il permet aussi de « traiter » l’inhibition de l’action et que l’angoisse résultant de cette inhibition pouvait alors être amoindrie. Mais il ajoute :

« Mais si le langage est un moyen d’agir pour l’individu, il est pour le groupe social, le plus souvent, un alibi, une excuse à la violence. Le discours logique a toujours fourni de « bonnes » raisons pour défendre une « bonne » cause par la guerre, le génocide, la torture. Le langage a toujours permis d’absoudre la raison d’État. »

Mais la critique laboritienne de l’État ne s’arrête pas là.

« Or, cette structure, impalpable, abstraite, qu’est l’État ne représente que l’institutionnalisation, dans des lois, des rapports hiérarchiques de dominances entre les individus qui en font partie. Si l’individu ne peut transgresser certaines règles prévues d’avance pour accomplir un meurtre, l’État, en revanche, a tous les droits pour tuer, soit à l’intérieur du groupe pour maintenir les règles d’établissement des hiérarchies de dominance, soit à l’extérieur contre un autre État qui tente d’établir sur lui sa dominance, ou sur lequel, au contraire, il veut établir la sienne. »

Cette critique n’épargne pas non plus le rôle des médias, plus souvent qu’autrement au service de cette domination étatique.

« Il est probable que l’empressement que manifestent les masse-médias à nous tenir au courant des crimes interindividuels ne fait que répondre aux besoin des États de faire oublier les leurs et de créer une angoisse, projetant le « citoyen » dans leurs bras. »

Même chose pour cette remarque plus actuelle que jamais des méfaits de l’automobile individuelle, emblème d’un capitalisme mortifère.

« Le crime épisodique, interindividuel, ne peut se comparer, en ce qui concerne le nombre de ses victimes, aux accidents de la route, aux crimes routiers, qui eux sont normaux, sont « sains », pourrait-on dire, puisque résultant de l’expansion économique. Mais, cependant, c’est de ce type de crime que l’on parle. »

Car ce que l’on oublie de dire, comme l’écrit Laborit vers la fin de l’article, c’est que :

« La violence interindividuelle est celle des êtres que l’on n’entend pas, dont la voix se perd dans le bruit de fond de la socio-culture, ceux pour lesquels la violence ultime peut être le suicide ».

3 réflexions sur “L’angoisse et la dominance, un texte de Laborit qui n’est pas tendre envers l’État

  1. bonjour,
    Seuls les journalistes et les enseignants seraient “autorisés” (?) à accéder (pour enregistrement) aux archives de l’INA, les seconds avec une “justification pédagogique”.
    C’est dans des termes proches qu’une employée-cadre de cette “institution” a répondu à mon désir de “sauvegarde”, après avoir écouté une émission radiophonique dans laquelle Henri Laborit était l’invité-vedette (“le bon plaisir de…”, diffusé par France Culture dans les années 90, d’une durée de 3 heures – oui, oui!- avec de nombreux “intervenants”). Cela s’est déroulé dans les locaux de l’antenne toulousaine de l’INA (sur rendez-vous).
    Peut-être auriez-vous plus de “chance” à rendre “public” certains des quelques 300 documents (télé, radio) qui “dorment” sur les disques durs de l’INA ?

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