Anesthésie/Biographies/Chlorpromazine

Pierre Huguenard, celui avec qui Laborit a transformé l’anesthésiologie

HuguenardLa vie, tant au niveau moléculaire, cérébral, ou social, n’est que système complexe dynamique et réseaux de causalités circulaires. Toute tentative de transposer ces phénomènes dans la causalité linéaire du langage est, au mieux, une série d’approximations insatisfaisantes, et au pire, comme a voulu le montrer Laborit dans Copernic n’y a pas changé grand-chose, une suite de justifications d’origine inconsciente qui mène à la guerre ou à l’absurde…

Les tentatives de raconter une vie qui s’est donnée pour objectif de comprendre la vie, comme celle de Laborit, se heurte donc doublement à ce problème. D’où la parade souvent adoptée ici, celle de n’évoquer que des fragments, que certains noeuds de ce réseau complexe. Aujourd’hui, ce noeud aura pour nom Pierre Huguenard.

Né le 2 novembre 1924 et mort le 4 mars 2006, ancien chef du service de réanimation de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (où se trouve le fonds d’archives Laborit), Huguenard a contribué au développement de la médecine d’urgence avec les services d’aide médicale urgente (SAMU) et les techniques d’évacuations sanitaires.

Mais il fut surtout celui avec qui Laborit a pu développer « l’événement le plus novateur des années ’50 [en anesthésiologie] et un des plus marquants jusqu’à ce jour », comme l’écrit L. Campan dans un article de 1995 de la revue Urgences sur Pierre Huguenard. Intitulé « Un double jubilé : celui du professeur Pierre Huguenard et celui du laboritisme », l’article souligne à quel point l’anesthésiologie « s’est transformée en thérapeutique préventive des chocs opératoires, ô combien préoccupants a l’époque ». Ou, pour le dire de façon presque poétique comme Campan encore, comment « des subnarcoses polymédicamenteuses et modulables ont succédé aux narcoses écrasantes et monolytiques » grâce aux neuroleptiques (comme la chlorpromazine, ou Largactil de son nom commercial) et à leurs fameux “cocktails lytiques”.

À ce sujet, dans le deuxième tome de ses mémoires publié l’automne dernier et intitulé Les âmes blessées, le psychiatre Boris Cyrulnik raconte comment il a vécu les cinquante premières années de la psychiatrie moderne et comment, dans un chapitre intitulé « Hibernation du cerveau et des idées », il y a croisé Laborit et le « barman » Huguenard…  (merci à Hélène Trocme-Fabre de m’avoir signalé ce passage)

« Henri Laborit, chirurgien de la marine au Val-de-Grâce, et Pierre Huguenard, anesthésiste à Paris, se sont donné pour enjeu de diminuer les anesthésiques en préparant le malade avant l’opération. Huguenard nous apprenait à faire ce qu’il avait appelé un « cocktail lytique » composé de Largactil, de Dolosal (dérivé de la morphine) et de Phenergan. Nous appelions donc le « barman » celui qui nous disait dans son langage chaleureux : « Si vous préparez bien ce cocktail, on pourra faire une anesthésie générale sans anesthésique. » »

Et Cyrulnik de nous faire part ensuite de certains essais de ces cocktails lytiques dont il a été témoin :

« Je me souviens d’un Réunionnais, porteur d’un énorme méningiome, tumeur bénigne qui, lorsqu’elle devient volumineuse, écrase les structures cérébrales voisines, ce qui n’est plus bénin. Cet homme était terrorisé à l’idée qu’on lui ouvre la tête et qu’on charcute son cerveau. Après quelques heures de « cocktail lytique », il a dit : « Je n’ai plus d’angoisses. Je suis même étonné de devenir indifférent à l’idée qu’on m’ouvre le crâne. » Laborit et Huguenard, ayant constaté que le 4560 R.P. (futur Largactil) abaissait la température et engourdissait les angoisses, proposèrent de le prescrire lors des douleurs physiques intenses. »

Considérant à quel point Huguenard fut « la cheville ouvrière » de la démarche laboritienne, comme l’écrit Campan, il n’est pas étonnant que Huguenard ait écrit non seulement un hommage posthume à Laborit, mais également à Geneviève Laborit, décédée en 1997, ayant elle aussi contribué aux travaux de Huguenard et de son mari en anesthésie-réanimation.

Enfin, c’est avec Huguenard que Laborit a publié en 1954 son livre « Pratique de l’hibernothérapie en chirurgie et en médecine ».

Pour les nostalgiques de l’émission Apostrophes, Bernard Pivot avait reçu sur son plateau le 15 mai 1981 cinq médecins dont Pierre Huguenard qui venait alors de lancer son livre. Les sept premières minutes de l’émission peuvent être visionnées sur le site web ina.fr, mais pour voir l’émission d’un peu plus d’une heure au complet, il faut payer quelques Euros. Photo de Huguenard tirée de l’émission :

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