Anesthésie/Hibernation artificielle/Ouvrages médicaux spécialisés

Une entrevue sur l’hibernation artificielle avec Laborit qui date de 1957 !

media 001ppJe vous présente aujourd’hui une perle rare : la plus ancienne entrevue avec Henri Laborit à laquelle j’ai eu accès ! Elle fut publiée en décembre 1957 dans la revue Atomes, revue née en 1946 et dont la devise était « Tous les aspects scientifiques d’un nouvel âge ». Une revue qui allait changer de nom en 1970 pour devenir le magazine phare La Recherche que l’on connaît aujourd’hui !

Ce numéro de décembre 1957 de la revue, je l’ai simplement trouvé en faisant une recherche sur le Net par mots-clés avec Laborit. Elle se trouvait en un exemplaire unique chez un libraire qui vend des livres usagés en France. Je l’ai alors contacté sans trop y croire, mais deux semaines après je recevais la revue avec ce long entretien de six pages avec Laborit intitulé : « L’hibernation artificielle : les résultats obtenus depuis 5 ans ».

L’article est fort intéressant puisque l’entretien, mené par P. Sares avec le ton de l’époque (cette déférence appuyée avec le mot “Docteur” dans bon nombre de questions…) permet à Laborit d’expliciter les différents aspects de cette technique complexe qu’est l’hibernation artificielle. Comme toujours, vous pouvez lire chaque page de l’entretien en cliquant sur les liens correspondant ci-dessous.

C’est ainsi que dans la première page, Laborit rappelle le changement de paradigme, révolutionnaire à l’époque, qu’il a dû opérer en tentant de « tempérer » les moyens de défense de l’individu sur la table d’opération plutôt que de chercher à les favoriser comme il était admis à l’époque.

Cela amène Laborit, à la deuxième page, à faire une distinction importante, à savoir que toute maladie est la réunion de « syndromes lésionnels » et de « syndromes réactionnels ». Et surtout, comment deux approches complémentaires vont s’adresser à chacun de ces syndromes : chercher à supprimer la réaction organique quand la lésion est minime mais la réaction violente; et, quand cette lésion est grave, tenter de corriger d’abord la lésion tout en contrôlant la réaction. Mais pour ce faire, le chirurgien manque souvent de temps, d’où l’idée de ralentir le métabolisme cellulaire (et donc la dégradation tissulaire des suites de la lésion) par le froid.

La troisième page poursuit l’explication de la page précédente sur les produits employés pour diminuer l’excitabilité cellulaire afin de limiter l’intensité désordonnée de la réaction organique aux agressions.

La quatrième page aborde plus spécifiquement le refroidissement de l’hibernation artificielle. Car comme précise Laborit :

« Mais si l’on réduit, grâce à la déconnexion, le métabolisme, la consommation d’oxygène d’un organisme à sa valeur de base, de repos, on ne provoque pas un hypo-métabolisme considérable, qui est cependant nécessaire dans certains cas graves. L’hibernation va obtenir cet hypo-métabolisme, grâce à l’emploi du froid qui diminue tous les processus métaboliques de façon harmonieuse. »

Puis la page se poursuit en détaillant entre autres les difficultés reliées à cet abaissement de la température du corps, avec la limite inférieure des 30-31 degrés Celsius que Laborit cherche alors avec difficulté à dépasser. Laborit y va aussi de cette anecdote succulente la femme d’un patient hiberné nu la fenêtre ouvert en plein hiver, que je vous laisse le plaisir de découvrir au bas de la première colonne de cette page…

La cinquième page montre surtout trois photos de Laborit en train d’opérer, documents iconographiques relativement rares à ma connaissance, dont celle-ci.

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La sixième page s’ouvre sur les effets bénéfiques étonnants de l’hibernation artificielle sur la douleur encore généralement mal maîtrisée à cette époque :

« Le malade, quand il reprend conscience après une hibernation, présente un trou dans sa mémoire qui correspond aux heures pendant lesquels il est resté sous hibernation, et comme l’analgésie continue même après le retour à la conscience, on peut dire que 90 %, sinon plus, de nos malades déjà opérés, nous demandent quand ils vont l’être. En effet, n’ayant pas souffert et n’ayant aucune mémoire de ce qui s’est passé, ils ont l’impression qu’on ne les a pas opérés, et il est souvent assez difficile de leur faire croire qu’ils l’ont été. »

L’entretien se termine en ouvrant sur l’avenir de cette thérapeutique qui est, pour Laborit, du côté de l’exploration de l’hypothermie profonde. Laborit qui, en terminant l’entretien, ne manque pas de reconnaître le travail de ses collègues qui ont joint leurs efforts aux siens dans l’étude de ces questions complexes.