Colloque/Inhibition de l'action/Langage

Une sociologie du crime inspirée de la biologie des comportements de Laborit

41FTgzu8u2L._SY344_BO1,204,203,200_Marie Larochelle m’envoie une fois de plus différents documents fort intéressants sur Laborit que je publierai ici dans les prochaines semaines (merci encore!). Aujourd’hui, pour commencer, je me contenterai de signaler l’ouvrage « Sociologie du crime », du sociologue Jean-Michel Bessette (le montage du film et la vie en général ne me laissant cette semaine que quelques heures pour ce site…).

Publié en 1982 aux Presses Universitaires de France, ce livre (dont on peut lire une recension ici) offre une réflexion sur ce qui amène un individu à avoir des comportements criminels, réflexion qui sort du cadre stricte de la sociologie. Puisant dans l’anthropologie, mais aussi dans la « biologie des comportements humains » naissante à l’époque, Bessette montre entre autres comment des capacités langagières restreintes associées souvent aux classes ouvrières peuvent amener un passage à l’acte criminel comme soupape aux nombreux conflits de la vie moderne. Conflits qui nous mettent souvent dans d’insupportables conditions d’inhibition de l’action.

Et c’est dans un chapitre intitulé « Cerveau et société » que l’on retrouve donc l’influence de Laborit sur les écrits de Bessette. Citant « Les comportements : Biologie, physiologie, pharmacologie » (1973), de Laborit, Bessette élabore sur ces conflits en explorant leur source dans le cerveau humain, inspiré par l’approche morphologique évolutive qu’en suggère Laborit dans son ouvrage, lui-même influencé, on le sait, par les travaux du pionnier américain Paul McLean.

Je me contenterai de vous citer un extrait des premières pages de ce chapitre où l’on peut apprécier la pertinence de cette mise en perspective biologique et évolutive pour comprendre les racines des comportements qualifiés de criminels. Après avoir résumé le rôle des structures cérébrales primitives comme l’hypothalamus et celui des structures « limbiques » associées à la mémoire et l’émotion dans les comportements agressifs, Bessette en arrive à ce qui est plus spécifiquement humain dans notre cerveau. Il écrit, p.126 et 127 :

« Enfin, ayant la faculté de manier des symboles – singulièrement avec la langage-, l’[H]omme est sensible à une très grande diversité de stimuli pouvant favoriser ou inhiber son comportement « agressif », de même qu’il peut varier à l’infini ses types de réponse à une situation conflictuelle. Dans une telle perspective, on peut dire que le fonctionnement des mêmes pulsions hypothalamiques, selon qu’elles sont soumises aux modulations de tel ou tel code de la parole, ainsi qu’à la lecture de tel ou tel Code pénal, préside aussi bien à un destin de « gangster » qu’à celui d’un « héros »…

C’est très précisément à ce niveau qu’il convient, nous semble-t-il, d’intégrer au palier neurologique les thèses sur le contrôle du geste par la parole – sur la régulation des comportements en fonction des pratiques linguistiques – que nous avons présentées dans la deuxième partie de cet ouvrage.

Nous avons montré comment la structure sociale détermine, dans nos sociétés, certaines formes de pratiques linguistiques qui, elles-mêmes, modèlent en retour des types spécifiques d’appréhension de l’environnement. Ces différentes pratiques verbales déterminent aussi certains traits psychologiques particuliers, tant du point de vue affectif que du point de vue cognitif. C’est dire que, face à certaines situations, des situations conflictuelles en particulier – et là encore il n’y a pas d’égalité : les situations auxquelles se trouvent confrontés les manœuvres et les professeurs, par exemple, étant différentes –, les individus, en fonction du code de la langue qu’ils pratiquent, ne réagiront pas de la même façon. Ainsi, le manœuvre, utilisateur du « code restreint », disposera d’une gamme de médiation symbolique relativement moins étendue que le professeur, utilisateur du « code élaboré », et de ce fait il aura probablement plus tendance à agir ses affects. Dans cette perspective, on peut penser que les facteurs d’inhibition, ou de contrôle, des pulsions de ce dernier sont moins diversifiées symboliquement, les boucles de régulation étant moins nombreuses au niveau verbal. Une programmation moins diversifiée au niveau cortical, la misère, la fatigue, la tension due à un travail pénible et dangereux, l’alcool… autant de facteurs qui peuvent concourir à faire « descendre d’un étage » le niveau d’expression d’un individu – surtout en cas de conflit –, et favoriser un comportement plus « instinctif », plus immédiat.

Par exemple, il est clair qu’à une insulte un professeur pourra facilement répondre par une pirouette verbale ou mentale (tiens ! il est frustré… il projette… etc.); tandis que le manœuvre, ne disposant pas du même arsenal de médiation symbolique au niveau verbal, se sentira peut-être plus directement attaqué dans son être tout entier, et aura alors tendance à répondre à un niveau plus immédiat, gestuel (et paf ! ma main sur ta gueule…).

Nous pensons que c’est à travers un tel processus bio-sociologique que s’exprime la majeure partie des comportements physiques violents, et ne particulier ceux qui aboutissent aux crimes impulsifs contre les personnes. »

Suite à la réception de Sociologie du crime, je me suis souvenu d’une présentation qu’avait faite Jean-Michel Bessette dans un colloque organisé par Claude Grenié à Rochefort les 8 et 9 mai 1999. Grenié m’avait d’ailleurs donné les actes de ce colloque (c’est d’ailleurs une scène de mon film…) où l’on retrouve, de la page 14 à la page 24, la retranscription de l’allocution intitulée « De la biologie à la sociologie du crime » qu’y avait faite Bessette (voir cet autre billet qui est consacré à ce texte).

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