Au Québec/Imaginaire/Les bases biologiques des comportements sociaux

Biologie cérébrale, schémas laboritiens et imaginaire

structure-imaginaire

Ce site web continue de me prouver que je ne suis pas le seul à avoir été profondément marqué par la pensée de Laborit. Il y a deux semaines, voici ce que m’écrivait M. Jack Colas :

« Henri Laborit a marqué ma vie. Dès 1965, jeune prof de biologie et géologie, je travaillais comme stagiaire au service photo cinéma du Museum d’histoire naturelle de Paris. J’ai eu la chance d’assister à une de ses conférences… Vendéen comme lui, j’ai pu m’en servir comme entrée en matière… Quittant Paris, enseignant à Sarlat en Périgord, j’ai formé des générations d’élèves, de chercheurs, médecins, dont un est prof à McGill. Il s’agit de Philippe Séguéla, un neurophysiologiste. Je leur parlais à tous de Laborit, de ses livres et je leur passais des vidéos de ses interventions. J’ai tous ses livres et beaucoup m’ont marqué, le premier bien sûr “Biologie et structure”, Éloge de la fuite, l’inhibition… etc. Je suis à la retraite et participe à un club scientifique. Je pense l’an prochain faire une petite présentation des idées de Laborit. »

Et hier, j’ai reçu de Marie Larochelle par la poste sa thèse de doctorat co-dirigée par Laborit (dont on aura l’occasion de reparler) et un exemplaire de l’édition originale du livre Les bases biologiques des comportements sociaux, texte d’une conférence prononcée par Laborit au début des années 1990 au Musée de la civilisation, à Québec. Je l’en remercie d’ailleurs chaleureusement.

En feuilletant ce livre, je note d’abord que parmi les trois titres de ses ouvrages que Laborit donne en référence figure justement Biologie et structure et L’inhibition de l’action mentionnés par M. Colas. Ensuite, ce qui est bien avec Laborit c’est qu’on n’a pas besoin de feuilleter ses écrits longtemps pour tomber sur des passages qu’on a le goût de rapporter.

Les deux que je vous retranscris ici tournent autour de l’imaginaire ou, pour être plus concret comme l’est Laborit, du cortex associatif du cerveau humain. À la page 26 et 27, il récapitule les travaux du neuro-anatomiste Paul MacLean et sa distinction évolutive des trois cerveaux chez l’humain. Durant les années 1950, MacLean avait été l’un des premiers à attirer l’attention sur le fait que certaines structures cérébrales étaient plus vieilles et d’autres plus récentes évolutivement parlant, popularisant par la suite des concepts comme le « système limbique » ou le « cerveau triunique ». Cette perspective évolutive était à l’époque une avancée réelle qui n’avait pas échappé à Laborit qui en fut l’un des promoteurs dans la francophonie. Bien sûr, aujourd’hui, de nombreuses recherches sont venues nuancer et modifier ces concepts, et j’ai tenté dans une page du Cerveau à tous les niveaux de discerner ce qu’il fallait jeter et ce qu’on pouvait garder de ces idées.

Mais toujours est-il qu’au tout début des années 1990, Laborit écrit :

« on peut donc dire que le premier cerveau est celui du présent; il répond aux besoins immédiats, il n’a pas de mémoire : il ne peut donc pas faire autre chose que ce pour quoi il est programmé. […] C’est ce qui permet aux oisillons de certaines espèces d’ouvrir le bec, par exemple, quand ils voient la tache rouge sur le bec de la mère […] Le nourrisson n’a pas non plus à apprendre à sucer : dès qu’on lui met quelque chose dans la bouche, il tète.

Le second cerveau est le cerveau du passé : celui-là se transforme au fur et à mesure de l’expérience. Il garde des « traces » de ses expériences et c’est ce qui fait que vous vous souveniez encore du visage de votre grand-mère qui est morte il y a 35 ans. Ce sont des traces protéiques qui ont transformé vos neurones dans certaines voies particulières.

Enfin, il y a un troisième cerveau, dont nous n’avons pas encore parlé, qui est celui de l’avenir : c’est le cortex. Tous les mammifères ont un cortex. Mai il est surtout développé chez l’homme au niveau des aires orbito-frontales. »

(Ici, j’ouvre une petite parenthèse pour mentionner que depuis les années 2000, des travaux tendent à montrer que l’importance relative du cortex associatif dans la région pré-frontale chez l’humain n’est pas si prononcée d’une part, et que d’autre part, l’accroissement des aires associatives chez les primates jusqu’à l’humain s’est aussi fait beaucoup dans le cortex pariétal et temporal.)

Laborit poursuit un peu plus loin, toujours à propos du cortex associatif :

« Il va donc permettre d’associer les voies neuronales codées par la mémoire et de créer des structures qui n’existent pas dans le milieu environnemental. Seul l’homme a cette possibilité d’associer différemment des éléments empruntés à des structures-objets pour constituer un objet qui n’existe pas. C’est un processus imaginatif. »

Et c’est ce que schématise le dessin en haut à droite au début de cet article.

Laborit parle ensuite des voies cérébrales de la récompense suite à une action gratifiante et de l’inhibition de l’action, quand la fuite ou la lutte sont impossibles devant un danger. Il montre, comme il l’a fait dans plusieurs ouvrages, comment s’établissent ainsi dans les sociétés humaines les échelles hiérarchiques de dominance, avec des dominants et des dominés. On n’a pas l’espace ici pour reprendre ces développement, mais l’ouvrage fournit le schéma reproduit ci-dessous qui, c’est le cas de le dire, vaut mille mots. Un autre exemple d’efficacité des schémas de Laborit…

dominance

Au terme de cette brève démonstration, Laborit en arrive à cette conclusion ô combien lucide sur notre monde qui n’épargne pas nos « élites » :

« On assiste donc, actuellement, au règne et à la dominance du technocrate et du bureaucrate qui ont un niveau de connaissances strictement professionnelles, dans des domaines de plus en plus étroits, et qui croient, dans l’ignorance totale de leurs motivations à agir, que leur petit « machin », leur socio-ensemble, c’est l’ensemble. Pourtant, il est évident qu’il n’est pas nécessaire de sortir de ce qu’il est convenu d’appeler « une grande école » pour comprendre qu’il s’agit là d’une dominance historiquement établie et donc apprise, et qu’il n’y a aucune raison pour qu’elle continue à s’approprier les trésors de la planète, à savoir les matières premières, l’énergie et l’information technique sans laquelle les deux autres sont inutiles. Aussi longtemps que ces trésors seront la propriété exclusive de groupes humains prédateurs, agressifs et sûrs de leur bon droit, préjugés et jugements de valeur à l’appui, les génocides, les tortures, les guerres (du Golfe ou autres) bref, la foire d’empoigne généralisée, subsisteront. Beaucoup d’entre nous mourront ainsi sans jamais être nés à leur humanité, ayant confiné leurs systèmes associatifs à l’innovation marchande, en couvrant de mots la nudité simpliste de leur inconscient dominateur. »

2 réflexions sur “Biologie cérébrale, schémas laboritiens et imaginaire

  1. Après une lecture de ” La nouvelle grille ” en 10/18 à l’époque, puis encore et encore,j’ai dévoré la plupart des ouvrages d’Henri.Ce faisant,je me suis retrouvé dans des relations sociales et professionnels difficiles. Ce que je ne regrette nullement.Après ça, m’est tombé dessus un certain Edgar et sa ” Méthode “.Pour moi, les deux se fondent et habitent mon esprit.Ce qui n’est pas toujours facile,lorsque’on est comme moi, un dominé.

    Bien à vous et merci pour votre superbe travail.

    PS: Je partage et diffuse autant que faire ce peu.Le cerveau à tous les niveaux est indispensable.

    • Bonjour,
      Sans enlever un pétale, et bien au contraire, à tous ces échanges d’une richesse rare, et pour relever cette délicatesse de sens à plusieurs reprises, vous en trouverez justifié mon motif… Il s’agit de “autant faire se peut” plutôt que “autant faire ce peu”. Bien à vous.

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