Éducation/Éloge de la fuite

Plasticité et mémoires : tout ce qui entre à notre insu dans le système nerveux

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Comme je l’ai expliqué ici, je donne cet automne un cours sur la cognition incarnée à l’UQAM. Chaque lundi, je publie dans le blogue du Cerveau à tous les niveaux un résumé de la séance que je donne le mercredi suivant. Et chaque vendredi, je fais ici des liens entre le travail de Laborit et le thème de la semaine (les présentations des séances du cours en format pdf sont disponibles ici).

La séance de cette semaine intitulée «Plasticité et mémoires : l’inévitable hippocampe» commençait par présenter différentes formes de mémoire apparues au cours de l’évolution. Des mémoires parfois très anciennes mais qui cohabitent encore dans le cerveau humain avec nos mémoires déclaratives liées au langage.

Je pense par exemple aux formes implicites d’apprentissage et de mémoire que sont les conditionnements classiques ou opérants. Et Laborit a insisté très tôt sur le fait que plein de choses s’imprègnent dans notre système nerveux sans que l’on s’en rende compte. Toute la pub est basée sur cette idée d’associer un sentiment positif à une marque de lessive, par exemple. Mais c’est aussi le cas des normes sociales et des automatismes culturels qui entrent constamment à notre insu dans notre cerveau.

Pour le dire dans les mots de Laborit qui n’y va pas de main morte pour décrire ce phénomène :

« Je suis effrayé par les automatismes qu’il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d’un enfant. Il lui faudra dans sa vie d’adulte une chance exceptionnelle pour s’évader de cette prison, s’il y parvient jamais. »

Et que dire des conditionnements opérants dont Laborit a montré également la prédominance dans nos comportements. La recherche de la récompense est encore un mécanisme très puissant en nous. On n’a qu’à nous regarder descendre frénétiquement notre page Facebook à la recherche des précieux “Like”… Ou encore, il faut relire là-dessus le chapitre sur l’amour dans l’Éloge de la fuite où l’être aimé est associé à son pouvoir de gratification (âmes romantiques, s’abstenir…). ;-P

Dans ma présentation, je citais quelques travaux récents sur l’engramme mnésique et comment on a réussi récemment à le manipuler avec l’optogénétique pour créer de faux-souvenir chez la souris. L’engramme est un vieux terme remontant au début du XXe siècle qui a été remis à la mode fin 1970 et plus récemment, avec les travaux de Susumu Tonegawa en optogénétique. Je ne crois pas que Laborit l’utilisait, mais à chaque fois qu’il parlait des traces laissées dans notre système nerveux, il référait à la même chose, c’est-à-dire à des réseaux de neurones sélectionnés par le renforcement de leurs connexions synaptiques. De sorte qu’ils peuvent être par la suite réactivés plus facilement pour évoquer en nous le souvenir de tel ou tel événement.

On a ainsi l’habitude de dire que nous sommes le résultat de nos expériences de vie (même si on en filtre et en néglige forcément beaucoup), ce qui est vrai. Mais l’erreur que nous faisons souvent, et que Laborit a maintes fois signalée, c’est de penser qu’on a accès consciemment à tous ces souvenirs que notre cerveau a jugé bon d’emmagasiner.

Or ce n’est pas le cas. D’abord, nos souvenirs ne sont jamais exactement les mêmes car reconstruits pour ainsi dire dans nos réseaux de neurones plastiques à chaque fois qu’on se les remémore. Ensuite, pour le dire vite, “nous sommes plus souvent agi” (par des automatismes inconscients) que nous agissons consciemment. Plusieurs conceptions encore dominantes de l’être humain se trouve alors ébranlées si nous prenons en compte véritablement ces phénomènes.

Je pense par exemple à la question du soi unique et univoque que se trouve fragilisée par les sciences cognitives. Mais aussi à celle du  libre arbitre et tout ce qui en découle (responsabilité, mérite, etc.) que Laborit a critiqué très sévèrement dans toute son œuvre. Une vision peut-être un peu intense du côté des déterminismes, mais peut-être pas tant que ça finalement, plus on en apprend sur ce que fait (et reconstruit) notre cerveau à notre insu…

2 réflexions sur “Plasticité et mémoires : tout ce qui entre à notre insu dans le système nerveux

  1. Où en sommes-nous aujourd’hui des rapports et échanges entre nos trois cerveaux ? Paleocephale, mésencéphale et néocortex. J’aie souvent l’impression que chez certains le néocortex est au service du paléo ou cerveau reptilien.
    Mais je ne suis qu’un béotien dans ce domaine. Bien à vous.

  2. Très intéressant votre site web. Je me suis fortement intéressé aux travaux de H Laborit, et je le cite dans mon livre-essai “Sortir de la danse des automates humains”, publié chez Québec Livres. Bon il s’agit d’une réflexion non scientifique sur la notion de liberté, mais qui adopte une position que je qualifierais de médiane: peut-être 90-95% déterministe et 5-10% libre-arbitre-fragile qui émerge rarement et que l’on doit cultiver via ce que j’appelle la “Conscience Globalisante” (conscience inclusive et interactionnelle entre des niveaux d’informations non naturellement abordés simultanément en société… par exemple, rares sont les individus qui vont au même moment être conscients-et-traiter comme un tout les faits suivants: 1) les ultra-riches ne paient pas d’impôt et 2) la crise financière des gouvernements. Ils abordent plutôt ces éléments à des jours différés, pas pour les mêmes raisons, et n’en feront pas une globalité-signifiante. Dans la Conscience Globalisante, ces faits deviendraient “UN fait” puisque ces observations se recoupent). Je crois que ce manque de “savoir globaliser” des infos faussement considérées comme détachées constituent un pas dans le nettoyage de biens des “brics-à-bracs” fourre-tout dont parle Laborit en ce qui a trait à l’inconscient.

    Merci pour cet excellent site…

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