Inhibition de l'action/Mon oncle d'Amérique

Laborit, pionnier de la psycho-neuro-immunologie

3-systemes

Comme je l’ai expliqué ici, je donne cet automne un cours sur la cognition incarnée à l’UQAM. Chaque lundi, je publie dans le blogue du Cerveau à tous les niveaux un résumé de la séance que je donne le mercredi suivant. Et chaque vendredi, je fais ici des liens entre le travail de Laborit et le thème de la semaine (les présentations des séances du cours en format pdf sont disponibles ici).

Cette semaine, nous avons donné un aperçu de la complémentarité du système nerveux, hormonal et immunitaire dans le corps humain. On a donc, entre autres, parlé de la psycho-neuro-immunologie en rappelant tout d’abord qu’elle s’est développée à partir des travaux de Robert Ader à partir du milieu des années 1970.

Celui-ci avait réussi à conditionner des rats en associant la prise d’un liquide sucré à une substance immunosuppressive, de sorte que l’eau sucrée seule parvenait ensuite à diminuer les défenses immunitaires de l’animal. On commençait alors à admettre que le système nerveux pouvait interagir directement avec le système immunitaire (ici par l’entremise d’un conditionnement associatif).

Mais on s’en doutait depuis un certain temps déjà, notamment par l’entremise des travaux de Hans Selye qui avait montré que lorsque le corps subit une agression ou qu’il perçoit une menace, des remaniements hormonaux surviennent très rapidement. Et l’on connaissait déjà ce que l’on appelle l’axe hypothalamo-hypophysio-surrénalien, c’est-à-dire comment l’hypothalamus du cerveau communique avec la glande hypophyse qui à son tour va stimuler d’autres glandes dans le corps, dont les glandes surrénales. On avait donc là aussi une interaction du cerveau avec un autre grand système, le système hormonal.

Mais pour en revenir à la neuro-psycho-immunologie, Joël de Rosnay écrivait, dans un hommage posthume à Laborit en 1995 :

« [Laborit] ouvre la voie de la neuro-psycho-immunologie […] L’inhibition de l’action peut être le facteur déclenchant de désordres neuro-psycho-immunologiques. […] Les trois réseaux qui assurent l’homéostasie du corps (système nerveux, immunitaire et hormonal) convergent et s’interpénètrent. Des molécules ubiquitaires comme l’insuline, la vasopressine, l’ocytocine, ou les cytokines interviennent à plusieurs niveaux de ces réseaux, confirmant l’approche proposée par Laborit dans les années 60. »

Ce constat, fait il y a plus de 20 ans, est encore plus d’actualité que jamais. Un exemple très récent, parmi beaucoup d’autres : je lisais pas plus tard que vendredi dernier qu’une étude, qui vient d’être publiée dans Science, montre que la position relative d’un singe rhésus dans la hiérarchie de dominance de son groupe influence le fonctionnement de son système immunitaire.

En effet, plus le rang d’un singe est bas dans la hiérarchie, moins il produit de cellules immunitaires d’un certain type et plus il produit de molécules pro-inflammatoires. Ce changement est déclenché par l’activation ou non de gènes : quand un animal change de position dans la hiérarchie (suite à une manipulation des groupes par les expérimentateurs), le taux d’expression de ces gènes change aussi. Par exemple, un animal bas dans la hiérarchie active plus de gènes reliés à l’inflammation. L’inflammation est normale et utile pour combattre les infections. Mais quand ces mécanismes inflammatoires sont activés en l’absence de microbes, probablement juste par le stress infligé par les individus dominants, alors ils deviennent néfastes pour la santé.

Détail intéressant, les individus subordonnés qui se faisaient le plus toiletter (“grooming”) étaient ceux qui avaient les processus inflammatoires les moins élevés. Comme quoi le réconfort ressenti par les attentions des autres a non seulement un effet psychologique, mais également un effet physiologique réel.

Ce qui fait dire au Dr. Noah Snyder-Mackler, auteur principal de l’étude :

“I think there’s a really positive social message. If we’re able to improve an individual’s environment and social standing, that should be rapidly reflected in their physiology and immune cell function. “

Laborit et Resnais n’auraient pu qu’être d’accord, eux qui avaient montré si clairement il y a plus de 35 dans Mon oncle d’Amérique tous les effets néfastes sur la santé de l’inhibition de l’action découlant de la subordination sociale.

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