Au Québec/Audio/Entrevue à Radio-Libertaire

Un groupe “Henri Laborit” de la Fédération Anarchiste et quelques réflexions de Laborit sur l’anarchisme

En avril dernier, je recevais un courriel d’un lecteur d’Éloge de la suite qui m’expliquait que les livres de Laborit, qu’il avait découverts en 1986, l’avait tellement influencé qu’il avait créé le groupe Henri Laborit de la Fédération Anarchiste, en Vendée. Il ajoutait que François Sébastianoff avait alors adhéré à ce groupe local, lui qui habitait dans le cantal, à cause du nom du groupe…)

Après lui avoir demandé plus de détails sur ce groupe, il me fit cette réponse intéressante:

« J’ai réfléchi longtemps car je n’étais pas très enclin à tomber dans ce qui pourrait être de l’ordre du culte de la personnalité. J’envisageais ‘Groupe de Vendée’, puis, une évidence : Laborit est, pour moi, un anarchiste, malgré sa prudence sur les termes ; il dit, d’ailleurs dans un entretien à Radio Libertaire : ‘…puisque nous sommes entre anarchistes…’.

Laborit est vendéen (je ne sais d’ailleurs pas ce qui l’attache à la commune de Nesmy, située à 3 km de chez moi, mais le Foyer Rural de Nesmy s’appelle Foyer Henri Laborit). J’ai donc appelé ce groupe de son nom, mais les activités du groupe ne sont pas liées à son nom.

Je réalisais une émission de radio, vers 1986/1990, sur une petite radio locale ‘Radio Pictons’ située à Luçon, où habitait la famille Laborit. J’avais pris contact avec Laborit (l’attachée de presse ?… je ne me souviens plus…) afin qu’il puisse lors de son séjour en Vendée, être mon invité pour une émission. Il l’avait reportée pour raison sa santé je crois, et cela n’a pas pu se faire… je l’ai souvent regretté et je le regrette toujours…

Merci d’avoir mis ces émissions de radio Libertaire à disposition : je ne les connais pas toutes les 5. »

Cette dernière phrase m’a rappelé un passage de la quatrième émission de cette série de cinq enregistrée dans les studios de Radio Libertaire en 1984 où Laborit y allait d’une petite « critique constructive » (appelons ça comme ça…) de l’anarchisme. Si vous voulez l’écouter, ça commence à 1 :05 :42. Je l’ai aussi retranscris ci-dessous en enlevant quelques hésitations et digressions.

Le passage sur l’anarchisme arrive après que Laborit eut parlé des pièges des discours logiques et du doute constant que l’on doit lui opposer, y compris quand ce discours part des meilleures intentions, comme celles de l’anarchisme…

* * *

Henri Laborit (HL) : Si vous ne doutez pas de vous-même et des autres, de vos, idées, de vos valeurs, etc., et si vous ne les remettez pas constamment en question, et si vous n’essayez pas de trouver une technique vous permettant de dire que l’acte que vous êtes en train de réaliser n’est pas valable seulement pour vous mais pour l’espèce entière, méfiez-vous. Si elle n’est valable que pour le groupe restreint, la famille, le groupe professionnel, votre groupe confessionnel, si elle n’est valable que pour ce sous-groupe-là, c’est a priori une erreur et un acte malhonnête. Malhonnête dans ce que j’appelle « l’honnête Homme » qui était un Homme qui doutait (c’était Montaigne, Diderot, etc.). Le doute, à mon avis, aboutit à la tolérance et évite l’intolérance.

Gérard Caramaro (GC, l’animateur) : Si vous commettez un acte seulement pour votre famille de pensée, mais si vous croyez que votre famille de pensée est porteuse d’un bien pour l’humanité toute entière, que pensez-vous du doute ?

HL : Alors là, de croire que votre famille de pensée est bonne pour l’humanité toute entière, il faudrait que l’humanité vous dise si c’est vrai…

GC : Ça dépend de la pensée oui c’est vrai.

HL : Et puis c’est pas démocratique, c’est même pas anarchiste.

GC : Si je suis convaincu qu’il faut dans un premier temps se débarrasser des structures autoritaires qui nous régissent, non seulement ici mais ailleurs…

HL : Mais oui mais je crois qu’il ne faut surtout pas rester dans un niveau d’organisation, si vous restez dans le discours logique, par exemple. On nous dit « ce sont les meilleurs qui meurent à la guerre ». Alors qu’est-ce que nous sommes nous les rescapés de la guerre ? Des fins de race ? Des pauvres bougres ? Des rien du tout ? Si les meilleurs sont tombés à la guerre depuis le temps que ça dure, vous vous rendez compte de ce qui peut rester ? La lie ? Alors voilà le genre de raisonnement qui… Pourquoi nous dit-on ça ? Parce que ça maintient une structure de dominance hiérarchique étatique. […] Et ce sont tous ces discours logiques qui me semblent finalement très pervers et mènent l’humanité à sa perte.

Et qu’il soit de droite, de gauche, ou de rien du tout comme vous croyez l’être… anarchiste… vous me permettez : anarchiste mon cul… c’est pas de l’anarchie votre anarchie, c’est bien structuré… à partir d’un désordre, bien sûr… ah vous admettez le désordre du départ, mais vous voulez ensuite restructurer ce désordre suivant votre ordre à vous. Mais l’anarchisme c’est l’ordre de 4,5 milliards d’individus. Alors, bon, c’est très utopique. Mais soyons utopique ou ne soyons rien… Ou on reste dedans, ou on essaie de comprendre. Et je le répète en plus, peut-être parce que c’est mon cheval de bataille : tant que vous ne savez pas comment vous pensez, comment vous souffrez, comment vous agissez, comment vous êtes heureux, gai, triste, agressif, tant que vous ne savez pas comment ça s’est combiné dans votre crâne, je pense que vous ne faites que des discours logique, vous faites bla, bla, bla, et puis voilà…

Alors ce sera de droite, de gauche, du milieu, de tout ce que vous voudrez mais… Alors vous êtes tombé, peut-être, le mouvement anarchiste (non pas celui avec le couteau entre les dents, je parle d’un anarchisme non violent qui essaie de trouver et de comprendre), vous êtes tombé sur une forme de pensée qui refusait un certain nombre de chose qu’on considère comme l’essence de l’Homme, comme je le disais tout à l’heure. Des règles morales, religieuses, étatiques (surtout étatiques d’ailleurs) et vous les avez remises en question. Bravo. Mais à partir de là, ne retombez pas dans un langage et ne croyez pas que votre langage c’est le meilleur pour l’humanité toute entière. Et je vous dis : vous n’avez pas demandé son avis à l’humanité. Rien ne prouve que votre langage, celui que vous tenez actuellement, ne sera conforme à ce que pense un gars du Sahel en train de crever de faim, une femme du pacifique sud qui a tout pour être heureuse, etc.

GC : Il faudrait faire une assemblée générale d’ailleurs avec ces gens-là pour leur demander leur avis…

HL : Et c’est là où je pense que peut-être la technologie aura son mot à dire. C’est pas demain la veille, mais je pense que la communication lorsqu’elle sera suffisamment rapide et diversifiée (j’ai eu l’occasion au Québec… on m’a fait l’honneur d’être le premier à faire l’utilisation d’un satellite de communication), le jour où l’on ne passera plus par les journaux, par les mass médias […] avec derrière ces moyens de communication un pouvoir […], lorsqu’on atteindra la possibilité de communiquer entre Homme mais de façon très générale, sans appartenir à un groupe social, professionnel, étatique, tout ce que vous voudrez, lorsque les gens pourront parler entre eux (et ce n’est peut-être pas tellement lointain), lorsque […] ces individus pourront s’exprimer (et exprimer autre chose que leur inconscient, sachant que ce qu’ils expriment alors sera toujours leur inconscient, mais qu’ils s’en méfieront et s’exprimeront avec un doute), à ce moment-là peut-être que nous pourrons faire quelque chose d’autre.

* * *

Cette dernière intervention de Laborit est étonnante de clairvoyance pour son temps (on est en 1984) par rapport à l’avènement généralisé d’Internet une bonne décennie plus tard. Ce Internet qui, bien que récupéré par les médias de masse que Laborit dénonçait déjà, permet tout de même à des citoyen.nes de différents pays de partager leurs connaissances sur des sujets comme… Henri Laborit, justement !

C’est ainsi que le lecteur de ce site que j’ai cité au début de ce billet m’avait réécrit pas longtemps après pour me préciser ceci, que je vous laisse en guise de conclusion :

« J’ai encore une info à vous communiquer : alors que je me posais la question depuis des années, j’ai téléphoné hier soir au Maire de la commune de Nesmy, voisine de la commune d’Aubigny où je vis. Il m’a expliqué que si le nom de Henri Laborit a été donné au Foyer rural, c’est parce que les grands-parents de Laborit étaient de Nesmy, et que ses ancêtres sont enterrés au cimetière de Nesmy… Ce n’est pas vraiment une info capitale, mais notre conversation m’a permis de raviver mes questions… »

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