Au Québec/Audio/Éloge de la fuite

De quelle fuite Henri Laborit fait-il l’éloge?

Hier soir, à l’émission «Réfléchir à voix haute» diffusée sur les ondes de ICI Première, l’animateur Jean-Philipppe Pleau et sa co-animatrice Micheline Lanctôt se demandaient : Fuir, est-ce un renoncement ou une libération ? Belle question abordée en visitant toute une panoplie d’auteur.es, et en particulier celui de « Éloge de la fuite », Henri Laborit.

Et pour essayer de mieux comprendre de quelle fuite, au juste, Laborit faisait l’éloge, ils m’ont demandé d’aller dire quelques mots là-dessus à leur émission étant donné ma contribution à la diffusion de l’œuvre de Laborit à travers le site web www.elogedelasuite.net. Inutile de dire qu’en à peine plus de dix minutes, ça part un peu dans toutes les directions tellement il y aurait d’aspects à développer sur ce thème…

J’ai bien sûr tenté de situer un peu la fuite dans une perspective évolutive, comme Laborit le faisait et comme je le tente aussi de le faire dans mes présentations pour expliquer les méfaits du stress chronique sur la santé physique et psychologique, ce que Laborit appelait avec justesse l’inhibition de l’action. En rappelant que les mécanismes biologiques ancestraux qui préparent notre corps à la fuite ou à la lutte quand il perçoit une menace sont les mêmes aujourd’hui qu’ils l’étaient pour nos lointains ancêtres se retrouvant devant une féroce bête sauvage. Et que même si les menaces sont devenues pour nous essentiellement symboliques de nos jours, elles n’entraînent pas moins ces remaniements physiologiques propices à l’action rapide et non à l’attente en tension qui s’éternise des jours, des mois, voire des années dans les situations sociales d’aujourd’hui. Cette attente en tension, sans fuite ni lutte possible, détruit à petit feu nos défenses immunitaires, créent de l’hypertension artérielle, et mène à la dépression et à tous les autres maux dit « de civilisation » que l’on connaît trop bien et qui tuent par milliers.

J’ai donc cru bon d’évoquer là-dessus la fameuse expérience avec les rats qui reçoivent des petits chocs électriques dans trois situations différentes tel qu’Alain Resnais l’avait reconstituée dans le film Mon oncle d’Amérique. J’ai aussi rappelé que pour Laborit, loin d’être un geste d’évitement ou de lâcheté, la fuite demeure bien souvent une question de survie. Mais comment fuir dans une société tissée serrée comme la nôtre avec toutes ses contraintes économiques, sociales ou familiales ? Laborit prônait une fuite devenue possible pour les êtres humains avec leur gros cerveau aux vastes cortex associatifs : la fuite dans l’imaginaire. Celle-ci peut prendre plusieurs formes pas toujours heureuses, comme celle des paradis artificiels temporaires produits par la prise de substances psychoactives mais souvent addictives, des formes de névrose, de psychose, ou même, fuite ultime, le suicide. Mais l’imaginaire dont parlait surtout Laborit était celui de la créativité humaine, que ce soit la création artistique ou scientifique comme lui l’a fait toute sa vie (Laborit a écrit de la poésie et a peint toute sa vie), la création d’un mode de vie personnel original ou de structure sociale moins aliénantes et plus orientées vers le bien commun. Bref n’importe quoi qui nous permet d’agir, même le sport ou l’amour, qui peuvent aussi aider à fuir temporairement des contraintes sociales oppressantes.

Parlant d’amour, ce n’est pas la première fois que Jean-Philippe Pleau fait la part belle à Laborit dans ses émissions. Il l’avait fait une première fois en 2019 alors qu’il co-animait alors l’émission « C’est fou » avec le regretté Serge Bouchard en y évoquant quelques réflexions de Laborit sur la question de l’amour. Comme je l’écrivais à l’époque :

” C’est sûr que “la dépendance du système nerveux à une action gratifiante réalisée grâce à la présence d’un autre être dans notre espace”, comme l’écrit Laborit, c’est pas nécessairement ce qu’on dit à l’être aimé en lui offrant des roses… Mais bon, c’est quand même plus lucide que la plupart des définitions sur le marché ! “

Je crois que c’est d’ailleurs cette lucidité qui avait également séduit Pleau et Bouchard alors que, en février 2021, quelques mois à peine avant le décès de ce dernier, ils citaient une fois de plus plusieurs passages de l’Éloge de la fuite, cette fois-ci tirés du chapitre « Le sens de la vie ». 

Et parlant cette fois de lucidité, la réflexion de Jean-Philippe Pleau qui termine l’émission s’intitulait hier « On parle toujours de quelque part » et présentait quelques idées du sociologue Geoffroy de Lagasnerie associé à la nouvelle gauche radicale française. Un auteur que je ne connaissais pas et dont les analyses sur la violence étatique, comme source de souffrances physiques et psychiques multiples sous vernis et caution de démocratie libérale, n’auraient certainement pas déplu à Laborit…

Donc merci à Jean-Philippe et son équipe, en nous permettant de réfléchir à voix haute ou basse, de continuer à faire l’éloge de la suite vers un monde meilleur ! ;-P

3 réflexions sur “De quelle fuite Henri Laborit fait-il l’éloge?

  1. Bonjour Bruno
    Je rebondis sur l’une de tes remarques.
    Geoffroy de Lagasnerie…
    Je le considère personnellement comme une “terreur”, qui part dans tous les sens, qui peut avoir des éclairs de lucidité, intellectuellement parlant, mais ça s’arrête là. Il ne fait que réinventer l’eau tiède, suivant en cela une longue tradition de radicalité bien française, au niveau de l’extrême-gauche. Il y eut la gauche prolétarienne, les situationnistes, les trotskystes, les maoïstes, et tutti quanti…
    De braves petits bourgeois bien propres sur eux, issus de “bonnes” familles, qui prétendent apprendre aux autres à penser correctement.
    Au plus fort de leurs délires, des personnes capables d’applaudir des deux mains à la révolution prolétarienne agraire en 1975, initiée par les Khmers rouges, au Cambodge. Ou d’exprimer leur soutien à ces pauvres membres de la bande à Baader “férocement” réprimés par les autorités.
    Avec le recul, on apprécié ces années d’égarement.
    Je n’éprouve aucune sympathie pour ces excités de l’extrême-gauche qui n’arrête pas de collectionner les casseroles en ce moment.
    Un livre de référence, plutôt unique en son genre : “Nouvelle histoire de l’ultra-gauche”, Christophe Bourseiller.

    Cordialement.

    • Bonjour Monsieur,
      Je partage totalement votre analyse.
      Si on ajoute à cela les différents courants de pensées “modernes” on arrive au wokisme et autres mouvements de morcellement de population dont l’esprit crypto-marxiste s’empare pour justifier leur “combat” en “faveur” des minorités.
      Ces gens ne sont malheureusement capable que d’allumer des feux (des révolutions) pour justifier leurs interventions.
      Ce sont des pompiers pyromanes, leurs but n’est pas alla paix et l’harmonie mais la lutte permanente.

  2. Complément du précédent commentaire…
    De Lagasnerie s’inscrit parfaitement dans le courant détestable post-moderniste qui a démarré aux USA et engendré le “wokisme” et ses dérives.
    L’une des plus belles interventions magistrales de stupidité de cet olibrius :

    “Le 30 juillet 2014, Geoffroy de Lagasnerie cosigne avec l’écrivain Édouard Louis une tribune dans Libération, appelant au boycott de la 17e édition du cycle de conférences « Les Rendez-vous de l’histoire » de Blois, ayant pour thème « Les Rebelles »[51]. Le boycott vise à protester contre l’invitation faite à Marcel Gauchet de prononcer la conférence inaugurale de l’événement, ce dernier étant à leurs yeux un intellectuel réactionnaire et « un rebelle contre les rébellions et les révoltes »[52]. Marcel Gauchet réagit à cette tribune en la qualifiant de « pignolerie parisienne » et de « bêtise rétrograde d’une extrême gauche en délire »[53]”

    Il poursuit, persiste et signe. Typique de cette intelligentsia parisienne, boursouflée de prétention et de suffisance.

    “En juillet 2017, il accuse la sociologue Nathalie Heinich d’homophobie et de « prises de positions réactionnaires »[54], et lance une pétition visant à lui retirer le prix Pétrarque. La pétition est signée par plus de 1 800 personnes, dont Didier Eribon, Alain Seban, Hélène Hazera, Olivier Le Cour Grandmaison, Jean-Loup Amselle et le directeur du CRAN, Louis-Georges Tin[55]. Nathalie Heinich répond à Lagasnerie dans la revue Limite, le qualifiant de « sociologue connu pour sa malveillance »[56].”

    Sauf que Nathalie Heinrich réplique et qu’il s’agit d’un tout autre niveau de réflexion :

    http://revuelimite.fr/tribune-nathalie-heinich-contre-la-meute

    On le voit s’afficher partout où il s’agit d’être “contre”, ses choix sont loin d’être réfléchis et judicieux, surtout quand ils glissent vers le soutien à des associations ou des nébuleuses flirtant avec l’antisémitisme et l’islamisme. Comme capacités de discernement et de compétences, il y a de quoi avoir de sérieux doutes.

    Une interview pour cerner le personnage :
    https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/exclusif-geoffroy-de-lagasnerie-les-grands-intellectuels-ont-toujours-ete-de-gauche_2137375.html

    Le nombre d’âneries qu’il est capable de débiter est étourdissant.
    Non, Laborit aurait très vite ciblé
    à qui il avait affaire. De Lagasnerie soutient une cause quand il peut espérer servir sa propre grandeur.
    A oublier.

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